une employée racisée participe à une réunion où tout le monde parle sauf elle.

Racisme et discrimination au travail : un tabou qui persiste au Québec

« Ce silence, ce poids invisible, mais qui pèse tous les jours. »
Annie, arrivée de l’étranger, maintenant employée dans une PME à Montréal, me disait ça : « On ne parle pas, parce que si tu parles, c’est toi le problème, pas eux. »


Introduction

Quand on pense au Québec, on imagine souvent un terre d’accueil généreuse, un carrefour de cultures, un endroit où l’immigration forge la richesse collective. Pourtant, derrière ces idéaux — souvent mis en avant dans les discours politiques et médiatiques — se cachent des réalités moins reluisantes. Des comportements subtils ou manifestes, des barrières à l’emploi, des micro-agressions, des inégalités structurelles : autant de formes de racisme et de discrimination que vivent au quotidien les personnes racisées, immigrantes, ou simplement “différentes”.

Si la loi garantit des droits, si des politiques d’équité, diversité et inclusion voient le jour, la mise en œuvre reste parfois imparfaite. Le tabou est encore là : invisibilité des victimes, peur de représailles, malaise social. Ce que beaucoup subissent reste tu, voire nié.

Cet article vise à briser une partie de ce silence. À comprendre ce que vivent réellement les personnes discriminées au travail, à analyser les mécanismes humains et institutionnels derrière ces injustices, et à proposer des pistes concrètes pour que ce qui est tabou puisse devenir dénoncé — et transformé.

un groupe de travailleurs d’origines diverses dans un bureau moderne de montréal, assis autour d’une table de réunion.

I. Une réalité encore présente malgré les discours

Chiffres qui parlent

  • Statistique Québec nous apprend que, chez les jeunes de 15 à 29 ans, 34 % déclarent avoir subi une discrimination ou un traitement injuste dans les cinq années précédant l’enquête — soit environ un tiers. statistique.quebec.ca
  • Parmi les motifs, on retrouve la race ou la couleur de la peau (9 %), l’apparence physique (11 %), la langue (7 %), et l’appartenance ethnique ou culturelle (6 %). statistique.quebec.ca
  • Les personnes issues de minorités visibles au Québec affichent aussi des retards sur le plan des revenus d’emploi et du taux d’emploi, même si ces écarts tendent à diminuer légèrement avec le temps. statistique.quebec.ca

Sondages et témoignages

  • Un sondage de KPMG révèle que 80 % des personnes noires au Québec déclarent avoir connu du racisme ou des micro-agressions au travail. Et ce même si beaucoup reconnaissent que leur employeur prétend faire des progrès. 24heures.ca
  • Dans les professions de la santé, une enquête pancanadienne signale que les professionnel-les noirs subissent des injustices dans l’avancement de carrière, des conditions de travail plus difficiles, et un plus grand stress émotionnel. sciencepresse.qc.ca

Ces données montrent que le problème n’est pas marginal. Ce n’est pas quelques cas isolés : c’est une statistique constante, un vécu partagé par beaucoup.


II. Les formes subtiles de la discrimination : le racisme systémique au quotidien

Ce qui rend la discrimination particulièrement douloureuse, c’est souvent qu’elle ne se voit pas immédiatement. Elle s’infiltre, discrètement, dans les routines, les attentes implicites, les jugements non dits.

Définition et mécanismes

  • Le racisme systémique désigne des structures — dans les institutions, les normes sociales, les pratiques d’embauche, les promotions — qui désavantagent durablement certaines catégories de personnes en raison de leur race, origine ou apparence. Ce n’est pas seulement une personne méchante, c’est quelque chose d’enraciné dans le fonctionnement du quotidien.
  • Au Québec, le terme “racisme systémique” est de plus en plus présent dans les débats publics et institutionnels. Mais sa reconnaissance officielle reste parfois contestée, comme le montre l’analyse des discours politiques à ce sujet. revue-cfs.net

Exemples vécus

  • Le nom à consonance étrangère : plusieurs enquêtes rapportent que des candidats voient leur candidature rejetée avant même qu’on ait vérifié leurs compétences, simplement parce que leur nom « ne sonne pas québécois ». oriq.info
  • Accent ou langue maternelle : une personne qui exprime une légère accentuation ou qui parle anglais comme première langue peut être jugée “moins professionnelle” dans certains contextes ou avoir moins d’opportunités de promotion. oriq.info+1
  • Micro-agressions : plaisanteries sur l’origine, surnoms offensants, remarques sur « comment ils aiment la bouffe de leur pays », etc. Ce sont souvent des gestes qui ne paraissent pas graves à l’œil extérieur, mais qui, accumulés, créent une atmosphère toxique. Témoignage : « Ils se moquaient de mon accent chaque fois que je parlais de données ou d’un compte rendu. Je finissais par être silencieux, même quand j’avais raison. »
une employée racisée participe à une réunion où tout le monde parle sauf elle.

Conséquences personnelles et professionnelles

  • Le stress psychologique, le syndrome de l’imposteur, le sentiment de devoir “faire deux fois plus” pour être reconnu.
  • Baisse de satisfaction au travail, démotivation, perte de confiance, parfois dépression ou burnout.
  • Décrochage professionnel : démission, changement de poste, ou acceptation d’emplois sous-qualifiés pour éviter le conflit.

III. L’évolution des mentalités : ouverture, mais lente progression

Il y a certes du “mouvement”. Mais le progrès tarde à égaler les attentes.

Progrès visibles

  • Politique publique : Le Québec a mis en place des mesures, rapports, groupes d’action sur le racisme. Exemple : le rapport “Le racisme au Québec : tolérance zéro”, mis en avant par le gouvernement, qui identifie des actions dans l’emploi, l’éducation, le logement etc. quebec.ca
  • Les syndicats veulent faire leur part : par exemple la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) travaille sur le thème du racisme systémique, sensibilisation, action collective. ftq.qc.ca
  • Augmentation de la visibilité des personnes racisées dans les médias, les espaces publics, les débats. Les campagnes, les mouvements sociaux, les témoignages personnels sur les réseaux sociaux font sortir ces faits de l’ombre.

Limites et blocages

  • Politiques “sur papier” : Beaucoup d’entreprises affichent des politiques d’équité ou de diversité, mais peu ont des mécanismes de suivi solides, des sanctions ou mesures concrètes quand ça ne fonctionne pas.
  • Tendances au déni ou à la minimisation : certains responsables affirment ne pas voir le problème, ou minimisent en parlant “de cas isolés”. La reconnaissance du racisme systémique reste un enjeu contesté dans certains cercles politiques au Québec. revue-cfs.net
  • Différences selon les milieux : les secteurs privés ou petites entreprises peuvent être moins sensibilisés que les grandes organisations ou institutions publiques.

IV. La parole se libère : médias, réseaux sociaux et nouvelles générations

Le silence recule, grâce à ceux qui osent parler.

Témoignages et visibilité

  • Des plateformes et organismes (comme UQAM, ou des organismes EDI — Équité, Diversité, Inclusion) recueillent des témoignages officiels de personnes marginalisées qui, en vidéo ou écrit, racontent leurs obstacles dans le milieu de travail. Équité, diversité, inclusion
  • Sur les réseaux sociaux, des personnes racontent des micro-agressions, des incidents de harcèlement racial. Ces publications génèrent souvent de la solidarité, parfois de la colère, mais surtout de la conscience.

Impact sur la nouvelle génération

  • Les jeunes immigrants ou enfants d’immigrants sont plus enclins à demander de l’équité, à reconnaître quand ils sont traités injustement, à réclamer des milieux de travail inclusifs.
  • Ils sont aussi plus à l’aise à parler de racisme systémique, à s’engager dans des associations ou ONG, à utiliser les réseaux sociaux pour signaler ce qu’ils vivent.

V. Quelles pistes pour avancer ?

Pour que le tabou ne soit plus un bouclier, mais une étape vers le changement.

Formation et sensibilisation

  • Formations obligatoires pour tous les employés, surtout les RH, les gestionnaires, les supérieurs hiérarchiques, sur les biais inconscients, les stéréotypes, les micro-agressions.
  • Ateliers inclusifs : co-animés avec des personnes racisées pour que la voix concernée soit présente, non juste “théorique”.

Transparence et mesures concrètes

  • Collecte de données : entreprises et institutions qui compilent des données sur les taux de promotion, salaire, départs, selon l’origine, la race, ou le genre — dans le respect de la vie privée.
  • Indicateurs d’équité : créer des objectifs clairs et mesurables de diversité et équité, et rendre compte publiquement.

Politique interne forte

  • Politiques claires de tolérance zéro pour les propos ou comportements racistes, avec procédures accessibles et garanties pour ceux qui portent plainte.
  • Protection des lanceurs d’alerte ; anonymat éventuellement, pour éviter la peur des représailles.

Appui institutionnel et légal

  • Renforcement des droits via la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) : faciliter les plaintes, réduire les délais, s’assurer que les recommandations sont suivies. cdpdj.qc.ca
  • Collaboration entre syndicats, associations de minorités visibles, organismes publics pour créer des environnements réellement inclusifs.

Culture d’entreprise et changement social

  • Changer les mentalités : insister sur le respect, l’empathie, l’écoute. Promouvoir la diversité non comme case à cocher, mais comme force réelle.
  • Encourager la représentation : dans les postes décisionnels, dans les instances de direction, dans le management.

Conclusion

une équipe multiculturelle se tient debout, souriante, dans un espace de travail collaboratif.

Le racisme et la discrimination au travail au Québec ne sont pas juste des “histoires qu’on entend au loin”. Elles font partie des réalités vécues par des milliers de personnes chaque jour. Invisibles pour beaucoup, insupportables pour ceux qui les subissent. Le silence, souvent, n’est pas consentement, mais peur. La normalisation de comportements blessants ou d’obstacles structurels finit par anesthésier la voix de ceux qui voudraient parler.

Mais il y a de l’espoir. La parole se libère. Les jeunes revendiquent plus, les institutions commencent à bouger, les syndicats appuient. Rien n’est acquis, mais la route est tracée.

Si chacun — employeurs, collègues, institutions, gouvernement — accepte de regarder le problème en face, de céder du pouvoir, de s’auto-questionner, alors le tabou peut céder, et le monde du travail devenir un lieu réellement égalitaire, respectueux de tous, riche de toutes les différences.

Pour mieux protéger vos droits et faire entendre votre voix face aux discriminations, comprendre le syndicalisme québécois est essentiel. Découvrez dans le prochain article ses secrets et stratégies pour sécuriser votre emploi.

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